Le Web3 peut-il tenir ses promesses et nous rendre à la fois le contrôle de nos données et un internet dé-centralisé?

Introduction

Si comme moi vous essayez de rester ouvert d’esprit et espérez l’arrivée d’une application réelle (qui ne soit pas une arnaque) des blockchains alors vous avez déjà dû lire plusieurs articles traitant du “Web 3” dont la promesse est décentraliser à nouveau Internet grâce aux blockchains.

Ré-écriture historique?

Ce n’est pas le point le plus important concernant la critique du Web3 mais il intéressant de noter, d’autant qu’on le retrouve copié/collé dans la plupart des articles vantant le Web3, que la justification standard à l’existance du Web3 repose sur un pavé de révisionnisme historique:

  • Le Web 1.0 était surtout composé (en gros) de pages auto-hébergées et de BBS. La décentralisation était totale.
  • Ensuite est arrivé le Web 2.0 avec ses médias sociaux créant des silos d’infos et rendant le tout hyper-centralisé.
  • Et maintant Web3 va briser cela en décentraliser Internet en nous redonnant le contrôle de nos données via des blockchains.

Réalité du Web 2.0

Non! Le Web 2.0 n’a jamais été le Web des médias sociaux. Jamais. Dire le contraire revient à honteusement ré-écrire l’histoire d’il y a moins de 20 ans.

Le Web 2.0 était constitué:

  • de blogs, avec des sections pour commenter les articles
  • de wikis (Wikipedia était le premier wiki)
  • de forums (la nostalgie de phpBB!)
  • de partage de bookmarks (avec Del.icio.us)
  • de pages statiques, de scripts CGI Perl ou python
  • AJAX, comme moyen de charger des données sans changer de page
  • Javascript, pour réaliser des applications plus complètes
  • de flux RSS, permettant aux utilisateurs d’agréger le contenu qui leur plaisait

Puis quand on a tenté de créer un buzzword pour toutes ces tendances disparates, il est vite devenu évident que le point commun à l’ensemble était la possibilité pour les utilisateurs d’ajouter du contenu visible par les autres. Vers 2004, tout ce contenu générés par les utilisateurs (“user-generated content”) est devenu le Web 2.0

Comme beaucoup, j’ai participé à cette transformation en développant des sites, en créant des forums. D’ailleurs, c’est grâce à cela que des projets comme WordPress, phpBB et bien d’autres ont vu le jour. Chacun pouvait auto-héberger facilement son site, son forum, tout en ayant la responsabilité de gérer la modération du contenu. Avec comme ligne de fond: “si tu n’es pas content, fais donc ton site”.

Vers fin 2005, un changement de paradigme primordial a frappé le Web 2.0 avec l’arrivée de Youtube et son discours “Nous allons héberger vos vidéos pour vous” (faire confiance au site d’un autre pour héberger mon contenu? Bizarre, non?). Et c’était le début de la fin! Une fois que nous avons laissé tomber nos serveurs au profit de ceux d’une entreprise, nos avons abandonné notre pouvoir et nos connaissances.

Les réseaux sociaux n’ont jamais été le Web 2.0, ils ont tué le Web 2.0!!

Pourquoi les réseaux sociaux ont pris le pouvoir?

Vous devez penser qu’il s’agit surtout d’un débat autour du nommage des choses mais cette époque du Web 2.0 a vraiment existée. Le discours du Web3 se heurte aux faits: un internet décentralisé a déjà existé.

Le Web 2.0 a disparu au profit des réseaux sociaux centralisés pour les raisons suivantes:

  • auto-héberger son propre serveur est pénible, cela demande du temps et des compétences.
  • auto-héberger son propre serveur est coûteux, surtout pour héberger des vidéos.
  • s’identifier sur facebook, twitter, etc est extrêmement simple pour les utilisateurs sans compétences techniques (qui sont 1000 fois plus nombreux que les personnes éduquées à l’informatique).
  • Une fois qu’une masse critique d’utilisateurs est sur une plateforme, n’importe qui en manque d’audience s’y joint (effet de réseau)
  • La plupart des utilisateurs ne comprennent pas qu’elles vendent leur vie privée pour obtenir cet hébergement facilité et gratuit et n’ont pas conscience de la liberté qu’elles abandonnent ainsi.
  • Le prix de la gratuité a été exposé au grand jour une fois que tout le monde a été pris au piège de ces entreprises.
  • Apple a pris la décision fatidique de rendre son smartphone centré sur ses applications au lieu de le laisser centré sur le navigateur et les sites Web. Android a copié bêtement la même erreur.

Et le Web3 va venir à bout de ces problèmes?

Pour aller dans le sens du Web3, il faut expliquer en quoi un “journal distribué dans lequel chaque mise à jour contient une référence signée cryptographiquement à la précédente mise à jour, répliquée sur de nombreux ordinateurs via un protocole dé-centralisé, récompensant en monnaie de singe des personnes hébergeant des nœuds lorsqu’elles résolvent des hachages cryptographiques par force brute” va permettre de résoudre le moindre problème relevé plus haut. J’ai le sentiment que c’est du vent puisque:

  • les blockchains sont extrêmement lentes, inefficaces, et très coûteuses en énergie. Et pour stocker un volume ridiculement faible d’informations. Les blockchains contiennent uniquement les références aux contenus, ceux-ci devant être stockés ailleurs.
  • Pour la plupart des applications Web3, “la blockchain” désigne la blockchain “Ethereum”, dont le coût de fonctionnement peut atteindre plusieurs centaines de dollars pour une transaction.
  • Si les utilisateurs ne veulent pas auto-héberger un serveur, ils ne vont sûrement pas auto-héberger un nœud de blockchain.
  • En pratique, les utilisateurs interagissent avec les blockchains à travers des intermédiaires (coinbase, binance, etc) et retombent dans le piège de la centralisation.
  • La gouvernance des blockchains est centralisée et limitée à un petit nombre de mineurs.

L’exemple habituel présentant le rêve “acheter le NFT d’un skin Minecraft pour l’utiliser dans Fortnite” va être complexe à réaliser parce que les développeurs concernés vont devoir soit créer les skins dans les deux jeux, soit carrément réaliser un framework d’interopérabilité entre les jeux. Mais ces développeurs sont capables de créer cela SANS BLOCKCHAIN!

Comment soigner le Web 2.0?

Le Web 2.0 peut redevenir ce qu’il était assez facilement. Pour cela, il faudrait:

  • des hébergements web facile (!!) et peu coûteux
  • des standards facilitant la portabilité des données
  • l’application réelle des lois antitrust (qui a taper sur les mauvais joueurs)
  • des lois encadrant vraiment la collecte des données (qui forcerait les réseaux sociaux à trouver un autre modèle que la vente de données privées)
  • un très grand nombre d’utilisateurs déçus par ces réseaux sociaux

Je veux, comme beaucoup, retrouver un internet dé-centralisé et les blockchains n’y seront d’aucune aide.


Cet article est une traduction libre de Jonomancer: Don’t Lie To Me About Web 2.0